!

Noël en Palestine

Témoignage de Laurence Zufic, professeure à La Ciotat,

 partie en mission civile  pour la protection du peuple palestinien et pour la

paix.avec un groupe d’« internationaux » français.

 

« 

Il est difficile de parler de la Palestine aujourd'hui de façon objective et détachée. Le sujet

déchaîne les passions. Parler de la Palestine, et c'est déjà du ressenti, de la prise de position.

Je ne puis faire autrement que de tomber dans ce travers et m'en excuse.

Cependant, je vais m'efforcer, non pas seulement de témoigner de ce que j'ai vu, mais aussi de

 rapporter aussi fidèlement que possible les paroles d'Israéliens et de Palestiniens que j'ai pu

croiser durant mon voyage.

Le 24 décembre 2002, l'écrivain Michel Warchawski, Israélien pacifiste convaincu, donnait une

 conférence à Jérusalem. Il y était notamment question du " transfert" des Palestiniens . Le trans-

fert, à ceux qui ne le sauraient pas déjà, c'est le nom poli que l'on donne à l'épuration ethnique.

 Depuis le massacre de Jénine en avril 2002, bel exemple d'épuration ethnique, le transfert est à

 l'ordre du jour.

Il existe, a dit Mr Warchawski, deux scénarios possibles.

Le premier, le plan optimal, consisterait en l'expulsion des Palestiniens au-delà du Jourdain.

 D'ores  et déjà, les affiches placardées à Tel-Aviv mentionnent le fait ouvertement : " La Jord-

anie, c'est l'Etat  des Palestiniens." peut-on y lire. Il va de soi que la population jordanienne,

 non plus que son gouvernement, n'a pas été consultée.Le transfert, d'après Mr Sharon, appor-

terait sécurité et paix. " 200 000  Palestiniens sont déjà partis en Jordanie. Faites partir le reste

 maintenant." Mr Sharon ne s'en cache pas : " La paix n'est pas à l'ordre du jour pour les 100 ans

 à venir.  Il faut parachever 1948."

Le 2e plan, plus modeste, est un plan de repli, encore appelé le " transfert interne".

C'est le fameux plan des bantoustans qui est déjà mis en place aujourd'hui, à savoir des zones

 palestiniennes complètement bouclées où tous les points de contrôle ( les si célèbres "check-

points") sont surveillés par les Israéliens. Pour les Palestiniens, cela signifie en clair : pas de

développement d'une infrastructure économique indépendante, pas de droit sur l'eau ou l'élec-

tricité ni sur la production locale, celle des olives par exemple, mais à la place une complète sépa-

ration entre les différents bantoustans et une main-mise de l'état d'Israël sur les "cantons

palestiniens" : les Palestiniens ne seraient plus autorisés à se déplacer d'une zone à l'autre, ni à

 travailler à l'extérieur, sauf grâce à un permis obligatoire.

Pour qui a l'impression que ce " plan de repli " n'existe que sur le papier, je peux témoigner du

contraire. En décembre 2001, Béthléem était encore une ville ouverte, où l'on faisait la fête.

Un an plus tard, elle est sous couvre-feu permanent.

Quand je suis entrée dans Béthléem assiégée, le 24 décembre au matin, j'ai vu l'incroyable

 dégradation qu'une seule année avait produite : peu ou très peu d'hommes dans les rues, pas

 de femmes mais des gamins qui mendiaient. Pas de décorations ou de fête comme l'an dernier,

non, rien que des soldats en armes aux portes de la ville et des Palestiniens assiégés chez

 eux et tenus d'y rester. Ce qui m'était montré, ce n'était plus Béthléem mais un bantoustan,

 un " canton palestinien", un ghetto en somme. Photos de Bethléem (clic)

Alors, bien sûr, il y a des villes qui se révoltent. Naplouse est une de celles-là. A notre arrivée,

 Naplouse était sous couvre-feu depuis 180 jours. Et comme les marchands s'obstinent à ouvrir

 boutique, Tsahal fait une descente musclée tous les deux jours.

Nous eûmes droit au spectacle gratuit de leur arrivée en ville. Ils s'annoncèrent par une entrée

 fracassante avec force chars, jeeps blindées et hélicoptères Apache.

Alors, bien sûr, les gamins lancèrent des pierres. Alors bien sûr, les soldats ripostèrent à coups

 de fusils et de grenades.

Nous avons pu voir, plus tard, les dégâts provoqués par Tsahal en avril dernier : les chars

s'étaient tracés une route en ligne directe vers la vieille ville, écrasant au passage le vieux cara-

vansérail turc et quelques maisons palestiniennes. Est-il besoin de mentionner que des habi-

tants furent écrasés vivants à l'intérieur de leurs maisons, pour avoir commis cette faute gravis-

sime d'avoir bâti leur maison sur le tracé des chars? Photos (clic) 

Nous avons rencontré ces soldats sur les check-points. Nous leur avons parlé. Ils viennent de

 Russie, d'Irak, d'Ethiopie, de France, des Etats-Unis. Tous tiennent le même discours :

" On obéit aux ordres." " Moi, je ne traite pas ces gens comme des animaux." Assertion qui

surprend tout de même : admettent-ils que d'autres Israéliens le font?

Nous eûmes une conversation édifiante avec un soldat israélien d'origine française au check

-point de Kalandiya, à Ramallah : " Nous sommes l'armée la plus civilisée au monde. Ces gens-là

sont des chiens. Si nous les traitons mal, pourquoi ne partent-ils pas? Il y a 120 pays arabes

 prêts à les accueillir. " Mais même lui tenta plus tard de se justifier : " Il m'arrive de les laisser

passer, même quand ils n'ont pas d'autorisation."

De ce temps, la foule attendait, résignée, qu'on voulut bien les laisser passer. Quand le check

-point fut ré-ouvert, un Palestinien nous lança en anglais : " Ils veulent vous faire croire que de

gentils fascistes, ça existe!"  photos (clic)  

A Gaza, la situation, comme partout ailleurs, s'est dégradée. Les médicaments ne passent plus

 ou alors proviennent de l'étranger au bon vouloir de l'armée après des délais incroyables, les

 femmes accouchent sur les check-points, le tirs israéliens tuent les Palestiniens jusqu'au coeur

de leurs maisons. Au Centre des Droits de l'Homme, à Gaza, Raji Sourani, avocat et directeur du

 centre, s'est montré fort pessimiste : " Le sang va couler, a-t-il dit, dès l'entrée en guerre contre

 l'Irak. Dans l'opinion occidentale, la mort des Palestiniens est devenue chose banale. Le plus dra-

matique, ce sont les frappes à venir sur l'Irak. Ca va être l'occasion pour Israël de terminer la

Nakbah ( = la Catastrophe) de 1948."

Qui de nous peut lui opposer un démenti?

Cette opinion, largement confirmée par la société palestinienne, ne la sentons-nous pas jusque

 dans nos rangs? Pourtant, bien des Palestiniens sont prêts à faire des efforts supplémentaires

 pour qu'on leur accorde la paix. J'en veux pour preuve deux témoignages . Celui de Saïd

Mohammed Daour du camp de Beit Laya, au nord de Gaza, agriculteur dont les  terres servent

 maintenant de territoire aux colons, qui nous a dit : " Les Palestiniens veulent  bien vivre aux

 côtés d'Israël mais ils demandent à vivre en paix. Comment se fait-il qu'un  peuple qui m'a volé

 ma terre ne soit pas prêt à la partager avec moi, alors que moi, je suis d'accord pour le faire?"

Le deuxième témoignage vient de Youssef, un homme de 80 ans, de Farkalil, un village au sud

 de Naplouse : " Qu'ils prennent ma terre, mais qu'ils me laissent vivre en paix." Photos (clic)

Je veux laisser le mot de la fin à Michel Warchawski, à l'heure où le Mur de la Séparation

avance, avec ses mines, ses barbelés, son système sophistiqué de surveillance électronique,

à l'heure où même Béthléem est menacée d'être coupée en deux : " Une société qui réalise

une identité nationale par un mur est une société gravement malade.

 Elle souffre de psychose  collective par la re-création de ghettos qui est

 cette fois-ci volontaire."

 RETOURS :    Haut du document         sommaire        site